Comment Paul Kagame et Félix Tshisekedi se sont brouillés?

Il y a quelques semaines, Fortunat Biselele alias “Bifort”,  bras droit de Félix Tshisekedi, avait apparu brièvement dans une vidéo du nouveau spin-doctor de Kinshasa, le Camerounais Alain Foka. Une semaine plus tard, il était licencié sans ménagements, puis emprisonné pour trahison. Au moment où j’écris ces lignes, Bifort est toujours en prison.

Lors du bref caméo, le pauvre Biselele explique innocemment que dès son arrivé au pouvoir, Félix Tshisekedi constate que les contrats signés par ses prédécesseurs avec des multinationales, asphyxient l’économie de son pays. Il se tourne alors vers le grand frère régional Paul Kagame pour solliciter son aide à le mettre en contact avec des investisseurs sérieux.

“Très bien, ton père était un homme bien!”, lui dit Kagame. Il l’introduit alors aux chefs d’Etats  Africains, le fait élire à la “Troïka” de l’Union africaine, le préparant à diriger l’Union l’année suivante, le fait inviter à parler à la plus grande convention du “lobby Juif” dans le monde “AIPAC”, alors qu’il était encore un parfait inconnu; “Nous devons le croire”, déclare un Kagame admiratif, à propos de son nouveau protégé congolais lors du CEO Forum organisé à Kigali par Jeune Afrique.

Pour l’occasion, Tshisekedi avait fait le déplacement avec toute son équipe chargée de la promotion des investissements dirigée depuis peu par Jean Claude Kabongo, alias JCK – homme puissant à Kinshasa (également limogé). Ce dernier y fera une présentation saisissante sur l’immense potentiel de la grande RDC, devant un parterre d’investisseurs venus du monde entier. J’étais dans la salle.

Je me souviens avec déception, que les investisseurs étrangers étaient surtout intéressés par les minerais, et le soir lorsque je rencontre la jeune équipe de JCK au cours d’une soirée organisée par “les Anciens du Zaïre” au célèbre Hôtel des Milles Collines à Kigali, je leur dit en substance:

“faites attention à ces rapaces qui ne s’intéressent qu’à vos minerais et qui n’ont rien pour vous. La RDC est un marché de 90 millions d’habitants et autant des ressources humaines; concentrez-vous sur elles. L’industrie extractive n’est pas un secteur à forte intensité d’emplois et vous n’avez pas encore de capacité de raffinage dans le pays. S’ils veulent des minerais, qu’ils construisent d’abord des usines de traitement et de raffinage sur place». Je me souviens que les «conseillers» n’étaient pas si emballés que cela par mes analyses de nature à gâcher la soirée…

Quelques mois plus tard, je me rendrais à Kinshasa à deux reprises pour encourager des investisseurs ukrainiens à y construire une raffinerie de Coltan. J’en ai profité pour acquérir, avec des collègues, une licence de distribution des marchandises à forte rotation en RDC, recruté et mis en place une équipe à Kinshasa.

De leur part, les Rwandais continuèrent d’aider leurs frères congolais, notamment en développant des contrats axés sur le transfert d’expertise aux locaux, la transformation locale, l’industrialisation, le contrôle des prix du marché; en sommes, une véritable approche “gagnant-gagnant” de l’investissement direct étranger (IDE).

L’idée était d’établir des normes d’investissement en RDC et, à terme, d’éliminer progressivement les anciens contrats déloyaux signés par les prédécesseurs de Tshisekedi ; il n’était pas nécessaire que les Congolais répètent les mêmes erreurs commises par le Rwanda lors de la création du Rwanda Development Board (RDB)! Dans tous ces projets, le conseiller Fortunat Biselele était présent.

Entre-temps, le président congolais avait entamé des pourparlers avec les rebelles du M23 et conclu des accords favorisant la paix. Laurent Nkunda, Sultani Makenga et leurs proches dans les camps de réfugiés au Rwanda et en Ouganda devaient rentrer pacifiquement en RDC, et les FDLR devaient être désarmés et retournés au Rwanda. Les deux chefs d’État, Kagame et Tshisekedi, s’étaient engagés à ne pas poursuivre les rebelles une fois qu’ils auraient désarmés et été rapatriés de part et d’autre, à l’exception de ceux qui auraient commis des crimes contre l’humanité.

De leurs coté les dirigeants des FDLR, une milice Rwandaise, étaient déjà internés dans un camp en RDC, en attendant qu’un avion de l’ONU les ramènent au Rwanda; une loi d’amnistie pour les rebelles du M23 était sur la table du parlement congolais, attendant d’être promulguée. Une délégation du M23 avait même été invitée à Kinshasa pour finaliser l’intégration de leur mouvement dans l’armée et la vie politique congolaises; bref, la guerre pour nous riverains du lac Kivu, était terminée! Une nouvelle ère se profilait à l’horizon, Kinshasa et Kigali étaient sur le point d’accomplir des grandes choses ensemble et de transformer la région.

C’est alors que les anciens protagonistes ont appelé Tshisekedi. Je ne peux confirmer si l’ancien président Kabila était derrière cela, pas plus que la vieille garde qui se serait sentie mise hors-jeu par le rapprochement, etc. Tout ce que je sais, c’est qu’ils l’ont obligé à couper tout liens avec Paul Kagame! Félix Tshisekedi a basculé du jour au lendemain comme s’il avait vu un fantôme, ou qu’un cartel mafieux retenait captif son dernier né.

Son armée, les FARDC, reprirent leur collaboration avec les FDLR, et une fois requinqués, ces derniers lancèrent des bombes et attaquèrent le sol rwandais, tuant des civils et détruisant des biens dans la commune touristique de Kinigi au nord du Rwanda. Le reste, comme dit le dicton, c’est l’histoire…

Sur ceux, je m’arrête un peu pour vous raconter l’histoire de la création de l’OPEP: L’Organisation des Pays Exportateurs du Pétrole, mais surtout l’ascension de l’Arabie Saoudite et avec elle, tous les pays du Golfe; une région historiquement pauvre vivant jadis de l’élevage de chameaux, des pèlerins visitant la ville sainte de la Mecque, et de la vente aux touristes des perles tirés des profondeurs des eaux.

1. Saudi Aramco: En 1933, l’Arabie saoudite accorde à la Standard Oil of California (SoCal) les droits exclusifs d’exploration pétrolière dans sa province orientale. A l’époque le royaume manque d’infrastructures, de l’argent et des connaissances en technologies modernes.

Dès la découverte du pétrole cinq ans plus tard en mars 1938 dans le champ pétrolifère de Dammam, les puits appartiennent entièrement aux Américains. Tout comme Saudi Aramco, la société chargée de commercialiser l’or noir, à l’époque vendu en brut pour être raffiné en occident. En 1973, le Royaume Saoudien demanda et obtint une part de 25% des opérations, et constata qu’il été régulièrement volée à la fois sur les coûts et les bénéfices du pétrole.

Un an plus tard, le Royaume augmenta sa participation à 60%, avant de finaliser le rachat complet aux actionnaires américains en 1980. En 2008 Saudi Aramco engagea l’entreprise française Total pour la construction d’une grande raffinerie dans la ville industrielle de Jubail II, et en 2016, d’en finaliser de manière autonome, une autre raffinerie d’une capacité de 400,000 barils par jour (bpd), à Yanbu au bord de la Mer Rouge.

Aujourd’hui, Aramco pompe 10% de l’approvisionnement mondial et réalise un bénéfice annuel de 111 milliards de dollars, soit plus que le revenu net combiné des cinq autres grand producteurs de pétrole et exactement le double du Produit Intérieur Brut (PIB) de la RDC.

2. La création de l’OPEP et le contrôle des prix du pétrole: L’OPEP a été fondée en 1960 à l’initiative du Shah d’Iran Mohammad Reza Pahlavi, des ministres saoudiens et vénézuéliens des Hydrocarbures et des Mines. Les autres pays y adhéreront au fur et à mesure qu’ils découvrent le pétrole. À l’époque, le prix du pétrole n’était pas contrôlé par ses producteurs et le baril se vendait à moins de 50 cents (0,5$).

En octobre 1973, l’OPEP décide de suspendre la production du pétrole, en signe de protestation au soutien apporté par l’Occident à Israël pendant la guerre dite du Yom Kippour contre une coalition de pays arabes dirigée par l’Égypte et la Syrie.

En réalité, les pays du Golfe cherchaient depuis longtemps une excuse pour prendre le contrôle du prix de leur pétrole, et lorsque la production reprit, le prix du baril ne cessa de grimper, jusqu’à atteindre 30 dollars en 1990. Entre les années 1960 et 1970, l’OPEP réussit à restructurer le système mondial de production du pétrole de sorte que le pouvoir décisionnel et la grande partie des bénéfices aillent dans les coffres des pays producteurs. La hausse des prix du pétrole, de la production et de la demande entraînerent trois décennies de prospérité sans précédent pour TOUS les pays du Golfe, aujourd’hui les plus riches du monde…

Mais pourquoi je vous raconte tout cela? Un consensus se dégage aujourd’hui sur le fait que les combustibles fossiles (charbon, nucleaire, pétrole et gaz) sont nocifs pour la planète et doivent être remplacés par des énergies renouvelables. Pour ce faire, le monde doit produire en masse des batteries pour stocker l’énergie verte. Les batteries et autres technologies nécessaires à la transition écologique sont constituées des 3T (Tungstène, Tantalite, Etain), du cuivre, mais surtout du lithium! Or, quasiment un tiers des réserves mondiales de ces minéraux rares se trouve en République Démocratique du Congo. Cependant, le monde n’a jamais digéré l’incident de la crise pétrolière de 1973 qui a conduit les pays du Golfe à prendre le contrôle de leurs propres ressources et à prospérer au-delà de toute entendement.

Que se passe-t-il donc aujourd’hui en RDC? Après s’être brouillés avec le Rwanda, les réformes ambitieuses fut abandonnées, les vieux contrats déloyaux sont toujours en vigueur. Les conseillers novices tirés des rues de Bruxelles, auxquels j’ai parlé au fameux soir de l’hôtel des Milles Collines à Kigali et ensuite au Pullman à Kinshasa, se sont soit fait dribbler, soit fait corrompre par les multinationales. Ce qui fait que les Chinois et autres propriétaires d’énormes concessions minières en RDC récupèrent des milliers de tonnes de terre, de boue, de sable et de roche, les expédient tel quel dans leurs pays sans même les laver sur place. Ensuite, ils déclarent au ministère congolais des mines ce qu’ils veulent.

Pour une cargaison sur un navire Valemax – [le plus grand navire du secteur maritime, également connu sous le nom de Very Large Ore Carriers (VLOC), mesurant jusqu’à 400 mètres de long avec une capacité allant jusqu’à 400.000 tonnes, soit environ 12,000 conteneurs] – une société minière en RDC peut déclarer qu’elle n’a raffiné que 400 tonnes (10 conteneurs) de Coltan, en dissimuler la quantité réelle et escroquer le lithium, l’or, les terres rares et toute autre multitude infinie de minéraux précieux contenus dans la boue. La RDC n’aurait absolument aucun moyen de vérification puisque le raffinage se fait en Chine, au Canada, en Afrique du Sud, etc.

C’est ce genre de situation que le Rwanda n’aurait jamais admis pour nos voisins et frères; c’est ce genre de contrat que RDB n’aurait jamais laissé J.C. Kabongo conclure; c’est de cela que Kagame voulait protéger Tshisekedi, et c’est cela donc la cause de la guerre et de la souffrance des Tutsi congolais, et de tous les peuples de l’Est de la RDC.

Les “forces obscures”, comme les appellent Fortunat Biselele, ont réussi à raviver les sentiments anti-Rwandais au sein de la population congolaise. Juste avant la normalisation des relations avec le Rwanda, l’armée française s’etait rendue dans les forêts de la RDC pour former et réarmer les FDLR et créer dans leurs rangs une unité d’élite appelée Commando de Recherche et d’Action en Profondeur (CRAP).

Un certain Denis Mukwege, gynécologue de village, a été catapulté Prix Nobel, devenu une célébrité du jour au lendemain et ensuite financé pour attiser la haine anti-Tutsi au Sud-Kivu. Et il y parvient, puisque les Banyamulenge d’Uvira sont tués quotidiennement par des milices locales, tandis que les Hema sont massacrés à Beni et en Ituri, sous le regard du gouvernement, des troupes Ougandaises et de la MONUSCO.

Ces mauvaises décisions favorisent ceux qui exploitent le Congo et toute l’Afrique et qui veulent que la RDC ne soit jamais proche du Rwanda. Félix Tshisekedi doit à tout prix être protégé des “mauvais” conseils de Kagame le poussant à prendre en mains le destin et les ressources de son pays.

Que Félix Tshisekedi se rende compte aujourd’hui qu’il a conclu un pacte avec le diable, il est trop tard, la situation n’est plus entre ses mains, alors que se profile des élections présidentielles très contestées et potentiellement violentes, à la fin de l’année.

Un dilemme:

Lorsque je me suis rendu en zone de guerre dans le Rutshuru et le Masisi, il y a deux mois, j’ai pu constater que la RDC ne peut pas couper les liens avec les FDLR car ces derniers sont plus aguerris que son armée les FARDC, la MONUSCO et la force Est-Africaine réunies. Lors des opérations conjointes FARDC – FDLR contre le M23, ce sont les généraux FDLR qui prennent le commandement.

En outres les FDLR se sont tellement mêlés à la population civile de l’Est du Congo ces trois dernières décennies qu’il est presque impossible de les distinguer. Environs un enfant sur trois né dans le Rutshuru est né d’un père membre du FDLR.

Or, le Rwanda ne peut rester sans rien faire pendant que les FDLR continuent de recruter, de s’entraîner et de se réarmer tout près de ses frontières.

Le M23 et les Rwandophones ne peuvent pas rentrer chez eux si leurs villages à l’Est de la RDC sont contrôlés par des génocidaires,

Les élections ne se tiendront pas, si une partie du pays est occupé et l’on craint que le chaos ne s’installe dans toute la RDC en cas de glissement de la date de leurs tenue.

La solution vue par Tshisekedi:

« Fatshi », comme le surnomme ses sympathisants, souhaite demander et recevoir des sanctions internationales contre le Rwanda qui n’aurait d’autre choix que de contraindre le M23 à déposer les armes et à retourner dans les camps de réfugiés – comme il y a dix ans.

Cette solution est difficile car les demandes des réfugiés Rwandophones deviennent de plus en plus reconnu (le communiqué d’Addis-Abeba vient de le réaffirmer), contrairement à il y a dix ans, et la RDC n’a toujours pas mis en œuvre les accords qu’elle avait signée avec eux à l’époque.

Les violences auxquelles font face les Tutsis congolais et les Hema sont publié en temps réel sur les réseaux sociaux et dénoncées régulièrement par la Sous-Secrétaire des Nations Unies pour la lutte contre le génocide, Mme Nderitu Wairimu, sans que le gouvernement de la RDC ne soit en mesure d’y mettre fin.

Le Rwanda s’est depuis renforcé dans le système international, notamment par les succès remportés par son armée en Centrafrique et au Mozambique; par l’organisation réussi et la prise en même temps de la direction du Commonwealth, de la Francophonie et de la vice-présidence de la Commission de l’Union Africaine. En outre, le monde est en ce moment préoccupé par la guerre en Ukraine..

Une issue vue par le Rwanda:

Pour sa propre survie et celle de son pays, Tshisekedi doit demander l’aide de Kagame et renégocier avec le M23. Les quelques figures de proue des FDLR, évangélistes de l’idéologie du génocide contre les Tutsis doivent être séparés de la population de Rutshuru, qui est également fatiguée de la guerre. Seuls le M23 ou l’armée rwandaise sont capables d’y parvenir. Une fois le Kivu sécurisé, il n’y aura aucune raison de reporter les élections et ainsi éviter le chaos.

Pour que cela puisse être accepté par les rues de Kinshasa rendu hostiles aux Rwandophones du Kivu, il faudra un travail de déconstruction de l’idéologie génocidaire et de la Rwandophobie en general.