Nommé Prix Nobel de la Paix pour son grand travail de traitement des femmes victimes des violences sexuelles à l’Est de la République Démocratique du Congo, le Docteur Dénis Mukwege, gynécologue obstétricien basé à l’hôpital de Panzi au Sud Kivu, fait l’objet d’articles, des commentaires d’internautes et des messages de soutien venant de partout: ONG internationales, diplomates occidentaux, Union Européenne, Département d’État Américain, même le conseil des ministre de la RDC a pris une résolution ordonnant les institutions de sécurité de faire une enquête.
Et pour cause? Le Dr. Mukwege aurait alerté le monde entier qu’il faisait l’objet des menaces de mort, et cela depuis, selon lui, que celles-ci auraient été proférées à son encontre par le Général Rwandais James Kabarebe, bien connu dans la région pour avoir mené la guerre au Congo.
De toutes les personnalités qui ont témoigné leur soutien au Dr. Mukwege, aucun n’a réellement pu démontrer les menaces qui le visaient. Dans cet article j’aimerais revenir sur les propos du Général Rwandais et le contexte dans lequel ils ont été tenus, en suite vous laisser juger par vous-mêmes si cela constitue réellement des menaces.
Qu’a donc dit le Général Rwandais? Invité à la télévision publique pour répondre aux questions des jeunes Rwandais issues de la diaspora, Gen. Kabarebe a expliqué ‘qu’il existe des acteurs qui profitent de la crise à l’Est de la RDC et qui n’ont aucun intérêt à ce que la paix y revienne. Parmi eux, le Dr. Mukwege et d’autres, disait-il, avancent depuis plus de dix ans un Rapport Mapping discrédité, pour appuyer leurs thèses et s’opposer au rapatriement des réfugiés rwandais, plus d’une décennie après l’expiration de la clause de cessation du statut des réfugiés aux Rwandais par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés.’
En quoi cela constitue-t-il une menace de mort? Un officiel Rwandais, participant à une émission à la télévision Rwandaise, répondant aux questions des jeunes, fait une analyse qui cite en passant Mr. Mukwege, et celui-ci en profite pour lancer une alerte générale.
Qu’est-ce qu’est le Rapport Mapping : https://www.ohchr.org/Documents/Countries/CD/DRC_MAPPING_REPORT_FINAL_EN.pdf et pourquoi n’a-t-il pas fait l’objet des actions ultérieures de la part des Nations Unies et de la communauté internationale?
A sa sortie, le Rapport Mapping fait état d’un génocide qu’auraient commis les troupes de l’Armée Patriotique Rwandaise, la branche armée du FPR, sur des populations civiles Rwandaises refugiées dans différents camps à l’Est de la République Démocratique du Congo. Celui-ci est d’abord ‘fuité’ par ses auteurs à des milieux d’ONGs et médias occidentaux, qui tout de suite se mettent à accuser le gouvernement Rwandais de Paul Kagame de génocide en RDC.
Le Rapport Mapping est ensuite présenté à tous les gouvernements mis en cause, notamment le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et l’Angolais à qui l’on réserve un droit de réponse. A l’époque le Rapport avait provoqué un levé de bouclier au sein du gouvernement rwandais post-génocide, logiquement, puisque le FPR, mouvement qui a stoppé le génocide venait à son tour d’être accusé d’en commettre un.
Indigné, le gouvernement rwandais menace de retirer ses troupes qui servaient déjà à l’époque dans différentes missions de maintien de la paix dans plusieurs pays en conflit, y étant très appréciés[1]. Ban-Ki Moon, le nouveau Secrétaire Général des Nations Unies effectue alors une visite à Kigali pour discuter du Rapport Mapping et des Casques Bleus Rwandais. A son arrivée, les rwandais l’attendent de pied ferme.
Avant de rencontrer le chef de l’Etat Rwandais, Ban-Ki-Moon et son équipe, constituée entres-autres, des représentants du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits Humains, rencontre l’équipe rwandaise.
Celle-ci avait passé le rapport au peigne-fin. Ils lui montrent notamment ce qui suit :
- On ne peut pas parler de génocide, puisque le Rwanda a risqué la vie de ses troupes pour rapatrier plus de 90% des réfugies, qui sont retournés dans leurs villages respectifs, sains et saufs[2]; les 10% restants, y compris des génocidaires et leurs captifs, s’étant éparpillés dans les forêts congolaises;
- Les sources principales du Rapport Mapping relayaient le narratif des milieux génocidaires (les 10% cités plus haut) et se distinguait par le caractère circulaire des sources[3], et de faire tomber le coup de grâce…
- Les techniciens rwandais démontrèrent à monsieur Ban-Ki-Moon et son équipe que les chercheurs avaient largement outrepassé leurs termes de références. En effet ceux-ci limitaient leur travail à établir les faits, sans pour autant les qualifier en des termes pénaux. Or les chercheurs étaient allés bien au-delà de leur mandat en écrivant dans le rapport que les faits commis constituaient des actes de génocide; et sont même allé jusqu’à recommander, en des termes à peine voilés, des poursuites pénales.
- Cela n’était pas le fait du hasard, poursuivi l’équipe rwandaise, puisque Mr. Luc Côté, chef de l’équipe des chercheurs, avait par le passé fait des déclarations dans les médias, affirmant que ce qui s’est passé à l’Est de la RDC n’était pas diffèrent de ce qui s’était passé au Rwanda. Les autres chercheurs avaient auparavant écrit des textes hostiles au FPR, etc. Les Rwandais expliquèrent à Mr. Ki-Moon, que les chercheurs n’avaient fait que validé leurs préjugés.
Ban-Ki-Moon et son équipe tombèrent des nues. Un mois plus tard le Rwanda publiait sa réplique : https://gateteviews.rw/response-of-the-government-of-rwanda-to-the-drc-mapping-report/ qui finit d’enterrer le Rapport Mapping, et la commission des Droits Humains des Nations Unies décida de prendre en compte les arguments du gouvernement Rwandais, et finit par publier une version beaucoup moins sensationnaliste, entérinée par le haut-commissariat aux droits humains, puis de classer le rapport sans suite.
C’est par la suite qu’on apprendra que le rapport avait été commandité par Kofi Annan, en fin de mandat, pour valider la thèse du double génocide et ainsi dédouaner les Nations Unies dont il était le chef du département de maintien de la paix pendant le Génocide des Tutsi. A l’époque il avait passé sous silence les mises en garde du général canadien Romeo Dallaire, alors en charge de la mission de maintien de la paix au Rwanda. Ce rapport, c’était sa dernière action en tant que secrétaire général des Nations Unies.
En conclusion : Ce qui se passe à l’Est de la RDC depuis deux décennies est en effet une tragédie, et les peuples de cette région méritent justice. De poursuites judiciaires sur le plan national, voir international devraient être envisagées. En outre, il est compréhensible que cette situation suscite des fortes émotions de la part de chaque personne qui s’en soucie. Cependant, pour qu’une procédure pénale sérieuse puisse être initiée, il faudrait un travail de fond rigoureux, qui commencerait par établir les faits : Combien des victimes ont réellement perdu la vie suite aux conflits armés, quelle est l’identité de chacune des victimes et qui en sont les auteurs.
Par victimes j’entends des citoyens congolais. Or le Rapport Mapping parle exclusivement des réfugiés Rwandais. S’en prévaloir pour réclamer justice pour le peuple congolais est tout simplement absurde.
Et enfin, il existe en RDC plus d’une centaine des milices, les unes plus violentes que les autres. Presque toutes ces milices sont constituées des citoyens autochtones congolais, à l’exception des incursions périodiques des milices Centre Africaines, Ougandaises, Rwandaises, voir Soudanaises ou Angolaises. Parmi elles, les Tutsi représentent une ou deux milices tout au plus. En revanche, les peuples Tutsi, Banyamulenge et autres Rwandophones font face à des violences quotidiennes au même titre que les autres peuples congolais.
Accuser singulièrement les ‘Tutsi Rwandais’, comme le font les politiciens congolais ne relève que du populisme et de la mauvaise foi.
[1] Les troupes Rwandaises ont été régulièrement décorés par les Nations Unies. Sources: https://gateteviews.rw/petit-viens-the-true-face-of-the-french-army/
[2] Le parlement Rwandais précèdent était constitué de plusieurs femmes rapatriées par l’Armée Patriotique Rwandaise des camps des réfugiés lors de la guerre au Congo. C’est ainsi qu’elle se sont insurgé, notamment par des témoignages émouvants, lorsque la BBC a produit un documentaire intitulé ‘Untold Story’, reprenant les accusations du Rapport Mapping et d’autres encore. Leur témoignages sont disponibles à ce jour.
[3] Par exemple dans la bibliographie du Rapport Mapping, celui-ci cite des rapports d’ONG et médias internationaux, qui eux-mêmes citent les auteurs du Rapport Mapping.
Merci beaucoup pour cet article qui apporte beaucoup de lumière sur un sujet que je ne maîtrise pas du tout !
Merci pour cet article très professionnel avec des explications simples à comprendre.